Peu d’oiseaux restent en montagne pendant la saison d’hiver. Marc Bethmont de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), dévoile quelques-uns de leurs secrets pour survivre et évoque les défis à venir.
En montagne les conditions hivernales sont encore plus rigoureuses qu’en plaine. A cette période, alors que la plupart des oiseaux migrent vers des cieux plus cléments, d’autres restent en altitude. Qu’ils vivent dans les forêts d’épicéas, dans les pelouses rocheuses ou près des hameaux de l’étage montagnard, pour tous, l’hiver est une période sensible. « La nourriture se raréfie et les jours raccourcissent, alors que les besoins énergétiques des oiseaux augmentent pour lutter contre le froid. A titre d’exemple, la plupart des mésanges ne survivent pas à l’hiver » explique Marc Bethmont, membre de la Ligue de Protection des Oiseaux en Haute-Savoie. Chaque espèce s’adapte à sa manière. Beaucoup d’insectivores deviennent granivores et profitent par exemple des fruits du sorbier, de l’églantier ou des graines de conifères qui ont l’avantage d’être disponibles même quand la neige recouvre le paysage. Certains passereaux font la tournée des mangeoires près des habitations. D’autres, à l’instar du cassenoix moucheté se constituent des réserves. « Ils ont tous un point commun : l’économie d’énergie. Particulièrement les 4 « fantastiques » que sont le tétras lyre, le lagopède alpin, la gélinotte des bois et la perdrix bartavelle. Ces tétraonidés sont particulièrement sensibles au dérangement en hiver. Des envols répétés et trop de stress les épuisent alors qu’ils sont dans une période où ils luttent pour survivre » précise Marc. Pour observer les galliformes de montagne sans les mettre en danger, l’ornithologue conseille : « de les observer à bonne distance avec des jumelles, de ne pas chercher à faire la photo du siècle à tout prix et de se renseigner en amont de sa sortie à skis sur les zones à éviter ».
La perte de la biodiversité menace déjà les oiseaux
L’avenir de ces 4 « fantastiques » en montagne est incertain. Ils sont menacés notamment par la colonisation de leur habitat par l’homme et par le changement climatique. Les ornithologues haut-savoyard constatent déjà les effets du réchauffement sur l’avifaune locale : « De nouvelles espèces apparaissent en Haute-Savoie comme le circaète jean le blanc. D’autres raccourcissent leurs périodes migratoires, comme les hirondelles des rochers qui reviennent de plus en plus tôt. On constate même la présence en hiver de quelques merles à plastron, alors que cette espèce était il n’y a pas si longtemps une migratrice totale». Les oiseaux sont confrontés à un autre problème, dont on parle moins, qui est la perte de la biodiversité. Car la raréfaction préoccupante actuelle des insectes représente une menace directe pour les oiseaux : « Pendant la période de reproduction, les passereaux se nourrissent essentiellement d’insectes, riches en protéines, et le problème c’est qu’il y en a de moins en moins depuis quelques années. Cela se traduit par une baisse de la reproduction des passereaux». Les zones de montagne semblent cependant moins touchées par le phénomène. L’urbanisation et l’agriculture intensive y sont moins présentes qu’en plaine. Un peu de répit sur ce front pour les oiseaux de montagne.
Découvrez quelques espèces emblématiques que l’on peut observer en hiver dans les montagnes.
Cri du gypaète | ©Fernand DEROUSSEN
L’hiver est la saison de reproduction pour le gypaète. Les parades et la construction du nid se déroulent dès l’automne. L’accouplement a lieu en novembre-décembre, la ponte en janvier-février et les gypaétons naissent en mars-avril. A cette période, il se nourrit principalement d’ongulés sauvages morts dans les avalanches. Vous l’apercevrez peut-être voler juste au-dessus de vos têtes pendant vos randonnées en raquette ou à skis. Il vole bas. Son envergure peut aller jusqu’à 3 mètres. Ses ailes se terminent par de longues plumes effilées, les rémiges. Sa queue forme un losange. Son œil est cerclé de rouge.
Règles d’observations en hiver : Ne pas s’agiter à sa vue. Si vous êtes en parapente (ou autre objet volant) il ne faut pas chercher à s’approcher de l’animal qui vous prendrait pour un rival. Ne jamais s’approcher d’un nid si vous avez connaissance de sa localisation, cela pourrait faire échouer la nidification. Il existe des « zones de sensibilité majeure » mises en place par ASTERS (Conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie) où toutes les activités sont interdites y compris le survol de ces aires.
L'aigle royal
Cri de l'aigle royal | ©Lars Edenius
L’aigle survole nos montagnes en hiver. Il est capable de jeûner plusieurs semaines à cette saison. Il prélève régulièrement sa nourriture sur les cadavres d’animaux. S’il est affamé, il peut s’attaquer exceptionnellement à des proies plus grosses comme un renard adulte. Pour lui, l’hiver est également la période de la parade nuptiale, où les tourtereaux se livrent à de spectaculaires parades aériennes, et à la restauration du nid en paroi rocheuse. La ponte a lieu en mars-avril. On reconnait ce rapace à sa coloration sombre, sa longue queue et à ses ailes rectangulaires. Les jeunes ont une zone blanche très visible sous chaque poignet et à la base de la queue.
Il conviendra de prendre les mêmes précautions que pour le gypaète pour l’observation de l’aigle royal.
Le tétras lyre
Chant du téras lyre | ©Jérôme Fischer
Le tétras lyre habite l’étage subalpin, à la limite supérieure de la forêt. L’hiver il adapte son alimentation en se contentant d’aiguilles de conifères, de jeunes pousses d’arbres, de bourgeons. Pour faire face à un froid intense et au manque de nourriture, un seul mot d’ordre : l’économie d’énergie. Il se réfugie dans des igloos sous la neige pour se protéger du froid et des prédateurs. Il est alors très sensible aux dérangements qui génèrent du stress et des déplacements inutiles. Mâles et femelles sont très différents. Le coq est noir, il a les sourcils rouges, le dessous des ailes blanches et une queue en forme de lyre noire et blanche. La poule a un plumage plus terne, brun-roux, barré de gris et noir. Elle est plus petite.
L’hiver le tétras lyre occupe en forêt des zones souvent proches des stations de ski ou des itinéraires de ski de randonnées. Il faut respecter les zones de quiétude hivernale de l’espèce souvent cartographiées car dans son igloo, le tétras n’est pas visible depuis l’extérieur, si ce n’est par ses crottiers. « Les crottes ressemblent à des mégots de cigarettes sans filtre » précise Marc. Si vous voyez ou entendez des tétras lyre, contentez-vous de les observer à distance, sans les faire partir.
Chant du lagopède alpin | ©Jérôme Fischer
Le lagopède passe l’hiver entre 2000 et 2400 mètres d’altitude dans des zones où le manteau neigeux est moins dense comme des affleurements rocheux ou des crêtes soufflées par le vent. Il se nourrit d’écorces, de bourgeons et graminées sèches à cette période de l’année. Si les conditions se dégradent il creuse une loge dans la neige en attendant que ça se calme. Comme le tétras lyre, le lagopède économise au maximum son énergie en hiver. Il est donc lui aussi très sensible au dérangement. Il se camoufle parfaitement dans son environnement et est donc difficile à observer. Son plumage hivernal est blanc comme neige. On distingue le coq grâce à son bandeau noir entre le bec et l’œil.
Mêmes précautions que le tétras lyre pour l’observation.
Le bec croisé des sapins
Chant du bec croisé | ©Stanislas Wroza
Le bec-croisé des sapins fréquente assidûment les forêts d’épicéas. C’est l’un des rares à nicher en plein cœur de l’hiver. Cette période coïncide avec l’arrivée à maturité des graines d’épicéa. Les populations de bec-croisé sont donc fortement liées à la fructification de ces conifères. Comme celle-ci peut être très inégale les effectifs de bec-croisé varient fortement d’une année à l’autre. Il construit son nid dans la partie supérieure des arbres. On le repère souvent perché à la cime d’un bel épicéa. Parfois c’est le mouvement des branches qui peut être un indice. Et aux jumelles on aperçoit des perroquets miniatures rouges ou jaune-vert qui se démènent pour extirper les graines des cônes d’épicéa avec leur bec croisé. L’oiseau se sert aussi de son bec pour se déplacer sur les branches, comme les perroquets.
Leur position haute dans les épicéas les préserve de la plupart des dérangements en période de nidification.
L'accenteur alpin
Chant de l'accenteur alpin | ©Julien Rochefort
L’accenteur alpin vit en haute montagne. Il aime les milieux rocheux et les prairies alpines. En hiver, il est à l’affût des zones déneigées où il traque les petits invertébrés engourdis par le froid. Quand il y a des grosses chutes de neiges, il descend près des habitations les plus proches. Il fréquente les mangeoires des hameaux de moyenne montagne et vient picorer des miettes près des refuges ou des restaurants d’altitude. Il est moins farouche en hiver qu’en été. Pour Marc, « l’accenteur ne reste cependant jamais bien plus de 4 jours près des habitations, dès que ses secteurs favoris commencent à être déneigés, même partiellement, il remonte en altitude. Un vrai montagnard ! ». C’est un passereau robuste au ventre dodu. Il a la tête grise, le bec sombre à base jaune, le dos brun-gris strié de noir avec une bande noire sur l’aile fermée, le dessous gris ou beige terne strié et une queue sombre.
La niverolle alpine
Chant de la niverolle alpine | ©Maudoc
La niverolle est considérée comme une relique de l’époque glaciaire, à l’instar du lagopède. L’oiseau reste toute l’année en haute montagne, au-dessus de 2000 mètres. En hiver, il vit en petits groupes et cherche sa nourriture sur les crêtes soufflées par le vent. Il rôde aussi près des stations de ski pour finir les restes. On peut l’observer picorer de la nourriture près des restaurants d’altitude ou des refuges où il se montre peu farouche. Il faut vraiment des conditions d’enneigement et de froid extrêmes pour que les niverolles soient contraintes de descendre en plaine. L’oiseau est globalement clair avec la tête grise, un bec jaune, passe facilement inaperçu au sol. Par contre au décollage, il se révèle brusquement par ses ailes blanches à l’extrémité noire, et une queue blanche barrée d’un trait noir, très visibles et tout à fait caractéristiques.
Le pic noir
Chant du pic noir |©Maudoc
Le pic noir est le plus grand pic d’Europe. Il vit dans les hêtraies-sapinières assez ouvertes où il y a du bois mort et des vieilles souches. C’est un solitaire qui commence à parader à la fin de l’hiver. J’en ai aperçu deux début mars près de chez moi qui jouaient à cache-cache autour d’un gros tronc de hêtre. Il construit sa loge pour la nidification à partir du mois de mars dans un grand arbre sain, le plus souvent un hêtre. Il se nourrit essentiellement d’insectes xylophages, de fourmis, allant jusqu’à creuser la neige pour accéder aux souches d’arbres. Il peut aussi compléter son régime par des graines de résineux. Il s’agrippe au tronc des arbres grâce à ses ongles acérés tout en prenant appui sur sa queue. Son plumage est noir et il est coiffé d’une calotte rouge qui part du bec pour le mâle, alors que pour la femelle, seulement l’arrière de la calotte est rouge. Son chant est caractéristique.
Il reste à bonne distance de l’homme et il faut garder ses distances et faire preuve de patience pour l’observer.
Le chocard à bec jaune
Chant du chocard à bec jaune | ©Jacob Lotz
Le chocard est fidèle à ses falaises d’altitude où il passe la nuit en bande. En hiver les colonies de chocard descendent quotidiennement « faire leurs courses » plus bas en altitude à la recherche des baies encore disponible ou en suivant l’activité humaine : randonneurs en raquette ou à ski, restaurants d’altitude, refuges, habitations. « Ils descendent même jusqu’aux supermarchés de la vallée » m’apprend l’ornithologue. Il n’est pas craintif et il surgit de nulle part pendant la pause pique-nique pour quémander un peu de nourriture. Le plumage du chocard est noir, ses pattes sont rouges et son petit bec recourbé est jaune.
Le cassenoix moucheté
Chant du cassenoix moucheté | ©Niels Van Doninck
Le cassenoix moucheté vit dans les forêts de résineux avec un optimum écologique dans les forêts de mélèzes et de pins cembro entre 1500 et 2500 mètres d’altitude. Pour passer la mauvaise saison, il fait des réserves. En automne, il remplit son jabot de noisettes, de graines de pin et d’épicéa qu’il cache pour l’hiver. L’hiver venu il retrouvera les 4/5ème de ses cachettes sous la neige, en contrepartie certaines des graines oubliées en germant donneront naissance à de jeunes arbres. Grâce à ses réserves il peut se permettre de pondre ses œufs très tôt dans la saison, à partir du mois de mars. Son plumage est brun moucheté de blanc, il a un bec long et puissant, les plumes sous caudales sont blanches. Son cri est facilement identifiable.
Il n’est pas toujours facile à observer en forêt car assez craintif. Il se montre plus facilement en automne quand il doit faire des réserves.
Sources bibliographiques
- Ligue de Protection des Oiseaux (LPO)
- Interview de Marie Heuret ASTERS Conservatoire des espaces naturels de Haute-Savoie
- Interview de Jean-François Desmet, GRIFEM Groupe de Recherches et d’Information sur la Faune dans les Ecosystèmes de Montagne
- « La vie de la montagne », Bernard Fischesser, éditions de la Martinière
- « Oiseaux de France et d’Europe », Rob Hume, Larousse
- « A la rencontre des animaux de montagne », guides ce terrain des parcs nationaux de France, Glénat
Vous aimerez aussi
Les derniers jours du lagopède alpin
Jean-François Desmet est le spécialiste du lagopède alpin en France. Il nous présente cet animal mystérieux venu du froid qui n’aura peut-être pas le temps de nous livrer tous ses secrets.
Le gypaète, « un oiseau qui a du chien! »
Marie Heuret nous dresse le portrait du plus grand rapace d’Europe, le gypaète barbu. Elle revient sur sa disparition des Alpes, sa réintroduction et évoque son avenir encore incertain dans l’arc alpin.