Marie-Odile et Louis, instituteurs à la retraite, m’emmènent avec eux sur les sentiers de leurs souvenirs pour me faire (re)découvrir deux hameaux des Houches, Les Chavants et Vaudagne.
Le voyage commence aux Chavants, à la jonction de la route éponyme avec la route des S’nailles, une ruelle bordée d’anciennes fermes qui grimpe en direction de la montagne du Prarion. « Ce petit chemin était l’artère principale du hameau jusqu’à la construction de la route des Chavants dans les années 30 » me confie Marie-Odile, l’œil rieur. La toponymie ressuscite le concert de sonnailles qui accompagnait le passage des troupeaux lors de la montée en alpage. Le couple d’instituteurs fouille dans ses souvenirs : « La dernière fois que le cortège a défilé dans la route des S’nailles pour aller aux Granges d’en Haut, ça devait être à la fin des années 90 ou au début des années 2000 avec les vaches d’Huguette et Henri ». Aujourd’hui, beaucoup de résidences secondaires ont remplacé les habitations permanentes d’autrefois. Le style architectural a suivi les modes en vigueur au fil des rénovations, mais l’œil averti de Louis dépoussière les vestiges du passé : « Il faut imaginer qu’en bas, il y avait l’écurie et les pièces où vivaient la famille, avec la cour d’entrée. Et au-dessus, la grange avec la galerie qui servait de séchoir ».
Le dernier maître d'école des Chavants
En haut de la route des S’nailles, Marie-Odile et Louis rejoignent l’ancienne école des Chavants. Louis a enseigné ici pendant 21 ans jusqu’à ce que l’institution déménage dans le chef-lieu en 1994. « L’école datait de 1895, un an de plus et elle aurait été centenaire » s’amuse Louis, avec un peu de nostalgie dans la voix. Le dernier maître des Chavants se souvient : « J’ai même logé dans l’établissement quelques années. J’avais une classe unique avec tous les niveaux, il y avait une réelle cohésion avec les élèves et même avec les parents d’élèves… J’ai vécu ici mes meilleurs moments en tant qu’instituteur». La bâtisse a ensuite été rénovée et divisée en appartements. Une page de l’histoire des Chavants s’est tournée.
Plusieurs avalanches ont laissé ici des souvenirs glaçants
Les silhouettes sportives de mes guides du jour se faufilent entre les maisons et impriment leurs pas dans la neige fraîche. Nous débouchons sur la route de la Côte des Chavants. Plusieurs avalanches ont laissé ici des souvenirs glaçants. La dernière catastrophe remonte aux années 1950 mais la plus célèbre date du 19ème siècle, « une famille entière avait péri, seul un enfant qui s’était réfugié sous une table avait survécu » me raconte Marie-Odile. Les tournes, ces murs de pierre érigés près des habitations pour se protéger des avalanches témoignent encore du danger venu de la montagne du Prarion. Même si comme le dit Louis, « avec l’abandon progressif des terres agricoles, les pentes se sont reboisées depuis les années 50, du coup le risque est moindre mais… toujours présent ». Nous suivons la direction des alpages de Charousse et passons près de la mystérieuse et secrète Ecole de Physique des Houches. Marie-Odile me confie qu’elle « accueille les physiciens les plus renommés du monde entier mais garde ses formules à l’abri des regards ».
Les chalets de Charousse n'ont pas changé depuis 3 siècles
Les chalets d’alpage apparaissent derrière la forêt comme un anachronisme. Ils n’ont pas pris une ride depuis leur construction au 18ème siècle. Une conservation que l’on doit à un architecte parisien, qui, tombé amoureux des lieux, acheta un, puis tous les chalets à partir de 1930. Albert Laprade avait senti que le mode de vie montagnard était sur le point de changer et il chercha à en garder la trace. Il dira par la suite : « Je n’avais comme objectif que la préservation du paysage ». Marie-Odile et Louis, membres actifs du musée des Houches, me confirment qu’une grande partie des objets du musée provient des dons de la famille Laprade.
Le temps s'est arrêté aux Bouchards
Nous nous enfonçons maintenant dans la forêt de Vaudagne. « Jadis, une forêt de sorcière ! » plaisante Marie-Odile. Nous sortons des bois pour rejoindre le plus haut hameau de Vaudagne, les Bouchards. C’est ici qu’habitaient les grands-parents de Marie-Odile. « Ce n’était pas une mince affaire quand il fallait monter à pied depuis la gare de Servoz » se remémore l’institutrice à la retraite. Le temps semble s’être arrêté ici. De beaux fours à pain jouxtent encore les maisons traditionnelles. Le soleil glisse derrière le Prarion et précipite le hameau dans la pénombre. Nous descendons par le vieux chemin qui rejoint le lit du ruisseau de la Fontaine. La chapelle de Vaudagne se dessine en contrebas derrière les arbres dénudés.
"Vaudagne est tourné vers Servoz pour le spirituel"
Devant la chapelle, l’horizon s’ouvre sur Servoz et ses hameaux. Louis nous rappelle que « bien qu’étant rattaché administrativement aux Houches, Vaudagne est tourné vers Servoz pour le spirituel » : les cérémonies religieuses des mariages et des enterrements ont lieu de l’autre côté de l’Arve. Le sentier plonge sur l’ancienne école de Vaudagne, puis serpente à travers les maisons de ce hameau qui s’étire de haut en bas en suivant le cours du ruisseau de la Fontaine. Nous passons devant le Moulin, qui fut pendant un temps l’« épicerie-bar-dancing » du coin, puis nous rejoignons les Mouilles et le vieil itinéraire qui reliait Sallanches à Chamonix. « Cette portion de route, depuis le pont Pélissier en contrebas jusqu’aux Chavants était très redoutée » m’expliquent Marie-Odile et Louis de concert. « Déjà le pont n’était pas très sûr car l’Arve était souvent en crue. Ensuite il fallait longer les gorges de l’Arve par un sentier escarpé en évitant les chutes de pierres et les torrents qui débaroulaient des montagnes. Sans compter les bandits de grands chemins ! ». Difficile aujourd’hui de se rendre compte de la dangerosité du parcours. Avec les barrages, l’Arve s’est assagie et les bandits de grands chemins ont dû changer de métier !
Le chemin des diligences et l'oratoire des voyageurs
Le sentier surplombe la halte de Vaudagne, un cabanon installé au bord du chemin de fer. Le petit train rouge qui sillonne la vallée depuis l’année 1901 ne s’arrête ici que sur demande, « et encore pas à tous les coups ! » plaisante Louis. Nous attaquons désormais le « chemin des diligences » ou plutôt des « chars-à-banc ». Ces ancêtres des 4×4 étaient les seuls à pouvoir passer ici à l’époque, « ils se démontaient au besoin dans les passages trop étroits ». Après une montée assez raide à flanc de montagne, là où les gorges de l’Arve se resserrent, nous parvenons finalement à un oratoire. Il marquait la fin des ennuis pour les voyageurs d’antan et annonçait l’arrivée prochaine au Prieuré de Chamonix. Marie-Odile reprend son souffle et me raconte qu’ « une dame l’aurait érigé en 1856 après avoir fait la promesse que si elle parvenait à franchir ce passage saine et sauve, elle ferait construire un oratoire dédié aux voyageurs ». Le chemin s’élargit et les bouleaux dessinent une allée où trônent en arrière-plan l’Aiguille du Goûter et la chaine du Mont-Blanc. Nous sommes de retour aux Chavants par la voie « royale ».
En faisant parler les pierres et en partageant leurs souvenirs, Marie-Odile et Louis m’ont montré que le voyage pouvait s’inviter au coin de la rue. Ils m’ont aussi transmis un peu de leur amour et de leur bienveillance envers ces deux hameaux que je ne verrai plus comme avant.
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