Claudius Felisaz a choisi de vivre ses passions. Ce « penseur libre », comme il se définit lui-même, a trouvé la liberté et le bonheur dans une vie en harmonie avec la nature en tant que gardien de refuge.
Après avoir franchi le seuil du refuge de Chavan, je distingue un vieil homme coiffé d’un béret dans l’embrasure de la porte de la loge. Il annote des documents dans la pénombre. Le septuagénaire à l’œil rieur remarque ma présence et me rejoint dans la pièce principale. Il s’excuse : « J’étais en train de finir un travail de relecture ». Sa voix fluette contraste avec sa large carrure. Autour de nous, les murs sont couverts de photos, de citations, d’objets anciens, de petits « monuments »… Claudius s’est créé un univers qui lui est propre ici à Chavan.
Enfant, le natif de Bellevaux rêvait d'être berger. Adolescent, gardien de refuge.
Enfant, le natif de Bellevaux rêvait d’être berger. Adolescent, gardien de refuge. « J’ai toujours eu envie de vivre en montagne. J’y trouve la liberté et la solitude que je recherche » raconte Claudius avec pudeur. Même si les montagnes ne le quitteront jamais, il va s’écarter un temps de ses rêves. Le haut-savoyard est parti étudier à Paris, avant de revenir sur ses terres pour monter son cabinet d’architecture. « J’accordais de l’importance au fait d’être travailleur indépendant et j’étais crédible en tant qu’architecte, mais ce n’étais pas une passion » analyse Claudius, en prenant le temps de choisir ses mots. Il va ensuite devenir maire de Bellevaux, « un acte civique » qu’il ne regrette pas, mais dont il ne se « glorifie pas ». La fin de son mandat et quelques bouleversements familiaux vont l’inciter à prendre un peu de recul sur sa vie.
La montagne sera le temple de sa quête spirituelle et le terreau de sa liberté
Alors âgé de 57 ans, Claudius décide de vivre ses passions sans concession. La montagne, qu’il fréquentait déjà assidument va maintenant lui occuper tout son temps. Elle sera le temple de sa quête spirituelle et le terreau de sa liberté. Claudius l’affirme : « j’ai vécu mon deuxième baptême dans les montagnes valdotaines à cette époque ». Il s’explique : « Pour moi, il n’y a pas meilleure école de vie que la montagne. Elle nous apprend à récuser la peur en acceptant ses dangers. Et elle nous apprend aussi à ne pas toujours suivre les sentiers que d’autres ont tracé pour nous.». Le penseur libre (surtout pas libre-penseur, ce serait rentrer dans une case) va alors vivre plusieurs années en Vallée d’Aoste, en Italie. « J’ai acheté une maison là-bas sur un coup de foudre, et elle s’est volatilisé sur un coup de foudre » s’amuse Claudius. Un violent orage a réduit sa maison en cendres en 2008.
Claudius avait déjà rénové une maison d’alpage dans le vallon de Chavan sur sa commune natale, il y a quelques années. Alors suite au drame valdotain, il décide de s’y installer : « Je suis venu chercher ici la solitude, le silence et l’isolement ». La solitude lui a appris à aimer l’autre et le silence à apprécier la valeur des mots. C’est tout naturellement alors qu’il va devenir gardien de refuge, comme il l’avait rêvé. Et depuis 6 ans, Claudius et son refuge attirent toujours plus de curieux. Jusqu’à présent le refuge était ouvert toute l’année sans interruptions. Le gardien va désormais se dégager plus de temps pour réaliser ses nombreux projets.
"Isidore venait me voir 3 fois par semaine, il s’approchait juste au-dessus du chalet"
Notre sage des montagnes n’est jamais en panne d’inspiration. Comme un rituel, il commence et termine ses journées par l’observation de la faune sauvage. Il voudrait réaliser des albums photos et des vidéos sur ces scènes du quotidien : « Je vis des moments privilégiés avec certains animaux. Bien que nous ne parlions pas la même langue, il y a une réelle communion avec certains ». Claudius se rappelle avec émotions d’un chamois : « Isidore venait me voir au moins 3 fois par semaine. Il s’approchait juste au-dessus du chalet, vers l’oratoire. Nous pouvions nous observer des heures durant. Si je venais trop près, il se redressait, craintif, mais ne partait pas. Ça a été un choc lorsqu’il est mort l’hiver dernier ». Cette relation, comparable à celle que les hommes nourrissent couramment à l’égard des animaux domestiques est peut-être même plus forte avec un animal sauvage car « la relation est libre » mais Claudius déplore que « certains ne le comprennent pas ».
« J’adore cuisiner les plantes sauvages »
Claudius voudrait aussi identifier clairement les plantes sauvages comestibles autour du refuge avec des plaquettes descriptives, à la manière d’un jardin alpin. « J’essaie de faire au moins une sortie cueillette par jour. Je me suis constitué un herbier photographique. Mais surtout j’adore cuisiner les plantes sauvages » confesse-t-il avec gourmandise. Soupe, omelettes, gratins, condiments, mais aussi liqueurs et eaux de vie… Les plantes sauvages sont cuisinées à toutes les sauces dans le refuge.
« Celui qui se perd dans ses passions a moins perdu que celui qui perd ses passions »
Claudius termine actuellement la relecture de son livre intitulé « Présynthèse d’une recherche spirituelle » qu’il fera éditer en très peu d’exemplaires. Cet idéaliste ne s’arrête jamais. Il y a 5 ans, il a dessiné et fait réaliser un oratoire en l’honneur de Saint Augustin, un de ses penseurs favoris et auteur de la phrase qui lui va si bien : « Celui qui se perd dans ses passions a moins perdu que celui qui perd ses passions ». Il a fait ériger cet oratoire à l’endroit où ses amis chamois viennent l’observer et où les tétras lyres paradent pendant la saison des amours. « Un prêtre de 84 ans est même monté pour faire la bénédiction » s’amuse Claudius. En 2001 il a réalisé son « chemin de foi » en montant une croix de granit de 58 kilos en haut de la Pointe de Chavannais. Il a également gravé ses « 10 commandements pour une vie pleine de sens », il n’a « pas voulu aller jusqu’à 11 pour ne pas faire mieux que Dieu ».
Claudius s’est lancé le défi de vivre sa vie pleinement. Quand certains le plaignent, il les rassure : « Je suis heureux. Je vis en harmonie avec la nature. Je vis des états de grâce qui me permettent de profiter pleinement de chaque instant. Même si je vis en marge de la société, je ne vis pas dans le rejet de la société. Et quand je dois tailler des escaliers de 3m dans la neige en plein hiver, je le fais de bon cœur ».
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