Denis Jordan, botaniste haut-savoyard, m’emmène au col des Aravis à la recherche de l’hellébore vert, une plante rare en forte régression un peu partout, sauf ici.
Il est 9h sur le parking du col des Aravis et le mercure affiche déjà plus de 20°C. Denis Jordan déploie la carte IGN du secteur et me fait le topo : « L’hellébore vert est une plante rare en forte régression un peu partout, sans qu’on sache vraiment pourquoi d’ailleurs… Mais ici la station est exceptionnelle et s’étale sur plus d’un hectare. Nous allons dans un premier temps vérifier la présence de l’hellébore là où je l’ai déjà identifié puis nous allons aussi explorer une zone plus en amont ».
Appareil photo en bandoulière et carnet de note en main, Denis zigzag dans les pâturages du col des Aravis. Sans quitter des yeux le plancher des vaches, le botaniste tend l’oreille pour repérer quelques passereaux : « Tu as entendu ? Un pouillot véloce, on dirait qu’il compte ses sous ». Les notes simples et espacées de l’oiseau me parviennent. Denis est déjà reparti entre les vérâtres et les véroniques. Le naturaliste me demande si je discerne quelques points jaunes au loin sur un rocher. Pas vraiment. Denis, lui, reconnaît les oreilles d’ours ou primevères auricules. Son secret ? « J’ai dans ma tête comme un logiciel qui analyse les plantes en fonction de plusieurs critères et avec une base de données bien fournie » s’amuse Denis. Arrivé au pied du rocher, nous prenons le temps d’admirer les belles primevères.
"L'hellébore vert aime les endroits frais comme les creux à neige"
La pelouse devient rocailleuse. Nous traversons un pierrier en ouvrant l’œil pour ne pas déranger une vipère qui profiterait du soleil printanier. Une petite combe à neige s’ouvre en direction du sud-ouest. « Nous sommes sur une bonne piste » m’assure Denis. Les feuilles de l’hellébore ne tardent pas à apparaître. « Chez l’hellébore, comme pour le tussilage par exemple, les feuilles arrivent après les fleurs. Les feuilles basilaires sont divisées jusqu’à la base en 9 à 11 segments lancéolés et dentés », elles sont assez facilement reconnaissables. J’aperçois la plante avec ses fleurs plus haut. « L’hellébore vert mesure entre 20 à 40 cm de haut. On remarque que ses tiges sont rameuses dans la partie supérieure et feuillées au niveau des ramifications. Il y a entre 1 et 3 fleurs vertes par tige qui mesurent jusqu’à 6 cm de diamètre ». Ici l’hellébore a déjà fructifiée, on voit bien ses follicules.
L’hellébore a colonisé toute la combe. Et pas seulement… Nous remontons une autre combe parallèle jusqu’à un névé. Et là, les hellébores n’ont pas encore fructifiés. Les feuilles basilaires n’ont même pas encore poussées. « L’hellébore vert aime les endroits frais, notamment les creux dans les pelouses rocailleuses où la neige s’attarde » m’explique Denis. Sur la zone que le botaniste a déjà répertoriée, l’hellébore semble toujours bien présent.
Ce relevé aura permis d'étendre la zone connue de la plante dans le secteur
« Nous allons maintenant faire le relevé d’une nouvelle zone située à 500 m d’ici, plus en amont, en bordure d’une ravine ». Nous traversons la ravine et grimpons le long de la rive gauche. Denis est aux anges. Il consigne tout dans son carnet : arbres, plantes… « Je note l’altitude, la zone géographique, la famille, le genre… et quand je ne suis pas sûr à 100% de la détermination, je collecte un échantillon que j’analyserai chez moi. Une fois que le relevé est prêt je l’envoi au Conservatoire Botanique National Alpin à Gap ». Le scientifique s’enfonce dans les broussailles, crapahute dans des éboulis, descend dans d’anciens couloirs d’avalanches… Je le suis dans cette chasse au trésor exaltée en me demandant jusqu’où cela va nous mener. Après quelques belles découvertes et des glissades, Denis se résigne tout de même à s’arrêter pour casser la croûte, mais à contre cœur.
La chasse a été bonne pour Denis : « En deux heures, et sur environ 2 hectares, j’ai répertorié environ 160 espèces dont au moins 3 rares que sont l’hellébore vert, la violette des Pyrénées et la potentille de Thuringe ». Ce relevé aura même permis d’étendre encore la zone connue de l’hellébore vert dans le secteur du col des Aravis. Si la plante régresse un peu partout, elle a l’air de bien de se plaire ici, et tant mieux pour nous !
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