Un voyage hivernal à la découverte du pays de la Grave au départ du hameau du Chazelet qui nous emmène dans lieux sauvages où se perpétue un mode de vie ancestral.
Pour cette randonnée en raquettes, j’emmène mes parents au Chazelet. Un petit hameau de la commune de la Grave niché face à la Meije et son glacier. Le village vit au rythme des travaux agricoles de montagne. A peine perturbé par la petite station de ski des Plagnes qui étale son unique télésiège et ses quelques téléskis au-dessus du village.
Quelques irréductibles utilisent encore ici des briquettes de fumiers séchés, les "blaytes", comme combustible.
En descendant la rue principale, une forte odeur de foin me conduit jusqu’au rez-de-chaussée d’une maison a priori banale. Je jette un œil par la fenêtre et un regard bovin se pose sur moi. Une étable ! Le même manège se reproduit au moins à 3 reprises dans la rue. Un paysan transporte du fumier avec son tracteur. Il salue la petite troupe de curieux : « Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu beau temps comme ça ! Bonne balade ! ». Quelques irréductibles utilisent encore ici des briquettes de fumiers séchés, les blaytes, comme combustible. Les éleveurs soignent leurs bêtes tout l’hiver avant la montée en alpage du mois de juin. Les pâturages des environs sont réputés comme étant parmi les meilleurs des Alpes. Surtout le Plateau d’Emparis. Bientôt les bergers y mèneront des troupeaux de bovins et d’ovins constitués de bêtes locales et de transhumantes. Il y aura aussi la foire aux bestiaux en août au Chazelet, toujours aussi populaire parmi les éleveurs locaux.
Des greniers en bois sont construits à l'écart des habitations principales
Les incendies et les avalanches ont plusieurs fois ravagés le village. Alors les habitants ont trouvé la parade pour mettre à l’abri leurs biens les plus précieux. Ils ont construit des petits « greniers » en mélèze sculpté à l’écart des habitations principales, clôts par de lourdes portes et ornés de ferrures, les « fareuilles ». Ces édifices sont uniques dans la région. En s’enfonçant dans les « trabucs », ces étroites ruelles entre les maisons conçues pour protéger du vent et empêcher la formation de congères, il est facile de les apercevoir car ils tranchent avec les maisons en pierre de tuf et de schiste.
Nous chaussons les raquettes en bas du téléski d’Emparis. Les 30cm de neige fraîche crissent sous mes pieds. L’attaque est assez raide et il n’y a pas de traces. C’est en nage que nous rejoignons le premier replat. Il faut que je ménage ma troupe, sinon mes quinquagénaires, même s’ils sont sportifs, n’iront pas jusqu’au bout…
Une caravane dans le désert
Un nouvel angle de vue se profile sur le village du Chazelet. La Meije et le Rateau préfèrent se cacher sous une écharpe de brume. Nous cheminons désormais sur une petite avancée bien tracée qui nous mène jusqu’au replat final. Je déguste le silence une fois arrivé. La crête s’étire au nord jusqu’au point culminant de la randonnée, le Rachas ou Gros Têt. J’aperçois deux grappes de randonneurs qui ont entamé l’ascension. Ils ont dessiné de beaux zigzags dans la neige. Nous leur emboitons le pas. Depuis un belvédère, je découvre le vallon de la Buffe qui s’étend en contrebas, encadré par le Pic du Mas de la Grave au Nord et les Aiguilles d’Arves à l’est. Une niverolle s’envole d’un ressaut enneigé en un battement d’aile.
Les traces que je suivais s’éloignent de notre itinéraire. Le groupe profite surement d’une pause déjeuner sur un promontoire. Le vent a creusé des sillons et formé des amas de neige par endroit. Résultat, nous progressons très lentement. Mais la beauté des lieux en vaut la peine. La neige épouse à merveille les douces croupes des alpages. Elle dessine des dunes nappées d’une écume qui scintille au soleil. J’ai l’impression de mener une caravane au beau milieu du désert.
« Nous avons construit des igloos pour passer la nuit »
Au sommet nous rencontrons un groupe de randonneur qui arrive du vallon de la Buffe. « C’est parfait vous venez de nous faire le chemin ! » s’écrit le premier, avec un bel accent Belge. Je lui réponds qu’ils l’ont également fait pour nous. Le grand gaillard enchaîne : « Nous sommes parti hier dans le mauvais temps. Nous avons construit des igloos pour passer la nuit. Vous les verrez si vous passer par les Chalets de la Buffe ». Mes parents me rejoignent, le souffle court. Nous admirons la vue à 360°. Les Ecrins avec la Meije, le Rateau, le glacier de Mont de Lans, mais aussi le massif du Taillefer, les Grandes Rousses, Belledonne, les Aiguilles d’Arves, Villard d’Arène…
La descente sur le vallon empreinte de larges croupes en pente douce. Il y a juste le sillon du torrent Rachas à passer avant de nous laisser porter par la neige jusqu’aux Chalets de la Grande Buffe. L’occasion de récupérer de notre ascension. Je distingue les igloos construits par nos amis Belges à côté des chalets en pierre sèche. Je me retourne et j’observe mes parents sur les flancs de la montagne, 2 fourmis qui glissent sur le sable blanc. Leur rythme s’est ralenti, la fatigue doit commencer à se faire sentir. Nous allons faire une pause au nouveau refuge du Pic du Mas de la Grave.
La mine d’or de Salomon
Le vallon du Gâ nous conduit tout droit jusqu’à la pimpante bâtisse. De belles pierres taillées, une charpente en mélèze et des panneaux photovoltaïques, l’édifice s’intègre parfaitement dans le paysage. Il a été construit sur les ruines d’une maison d’alpage qui appartenait à un certain Polyte. Au 18ème siècle, elle était la propriété de Jacques Salomon, célèbre dans la région pour avoir découvert une mine d’or du côté des Aiguille d’Arves et avoir mené grand train… Avant de se faire accuser de fabrication de fausse monnaie et de finir ses jours en prison à Turin.
Denis, le gardien de refuge nous accueille chaleureusement. Le refuge du Pic du Mas de la Grave a ouvert cet été et c’est sa première saison d’hiver : « Nous fermerons le 2 avril. Normalement la neige fond vite de ce côté, mais cette année nous avons eu un enneigement exceptionnel. Là avec le soleil, c’est magique ! ». Des randonneurs se prélassent en terrasse pour profiter des derniers rayons de la journée. Denis nous rassure : « Pour rejoindre Le Chazelet vous n’avez qu’à suivre les jalons rouges que j’ai mis. » Avant d’ajouter : « Regardez sous les 4 Rochers si vous ne voyez pas des chamois ».
Il y a de la lumière dans les étables du Chazelet
Nous voilà reparti. Le sentier monte jusque sous les 4 Rochers. Nous ouvrons l’œil, mais pas de chamois en vue. La neige colle aux raquettes. Après la Croix de Tuf, nous franchissons une combe et descendons sur les hameaux des Rivets. Le soleil décline. Il embrase la Meije et son glacier. Le village du Chazelet se profile en contrebas. Nous remarquons la lumière dans les étables. Un homme brasse le foin au milieu des moutons, surveillé du coin de l’œil par un Border collie. Il semble que les mêmes gestes se répètent ici depuis toujours, comme si le temps s’était arrêté.
Un peu de lecture pour aller plus loin
« Au pays de la Meije », de Paul Louis Rousset
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