Quel rôle jouez-vous pour le gypaète ?
Je suis responsable de la mission d’expertise scientifique et technique chez Asters, le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie. Je coordonne le plan national d’actions de conservation du gypaète dans les Alpes françaises mis en place par le gouvernement. Je suis également la coordinatrice du projet LIFE (L’Instrument Financier pour l’Environnement) GypHelp financé par l’Union Européenne.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce grand rapace ?
C’est plutôt le gypaète qui est venu à moi. Je m’intéressais de près à la faune sauvage en générale et aux grands rapaces. Puis j’ai eu l’opportunité de travailler sur le gypaète en particulier et j’ai saisi cette chance car je trouve cet animal fascinant. C’est un oiseau qui a du chien ! Il ne laisse personne indifférent. J’aime voir les gens émerveillés en randonnée quand ils croisent son chemin. Tout est atypique chez lui. Son physique, son régime alimentaire…
Est-ce que vous pourriez nous le présenter ?
Déjà, le gypaète en impose. Son envergure peut atteindre les 3 mètres. C’est le plus grand rapace d’Europe. Il fait partie de la famille des vautours. Son allure inspirait la peur autrefois : Son œil jaune cerclé de rouge (qui devient rutilant en période de stress), son masque facial et sa barbichette autour du bec y sont pour quelque chose ! Il a l’habitude de frotter son plumage ventral blanc dans la boue pour affirmer sa domination, ça lui donne une couleur orangée. Mâle et la femelle n’ont quasi pas de différences morphologiques. Les jeunes gypaètes par contre sont dotés d’un plumage bien plus foncé sur le ventre et la tête.
Peut-il enlever des bêtes vivantes, comme on a déjà pu l’entendre ?
Certainement pas. Sa plus grande spécificité, c’est justement son régime alimentaire. Le gypaète n’est pas outillé pour tuer, ses serres ne sont pas assez puissantes, mais pour manger les os des charognes. C’est le dernier maillon de la chaine alimentaire. Il brise les carcasses sur des pierres pour se nourrir. Les os représentent environ 70% de son régime alimentaire. Les 30% restants sont composés des reliquats de viande et de tendon accrochés aux carcasses.
Et dans la vie de tous les jours, comment il se comporte ?
Les gypaètes vivent en couple. Bien que nous ayons observé des ménages à trois ! Et chacun participe aux tâches quotidiennes de manière équitable, cela vaut aussi pour la couvaison. Il ne se reproduit pas avant l’âge de 8 ans et donnera naissance à un seul poussin tous les 3 ans. La reproduction et la couvaison ont lieu en hiver et le poussin voit le jour au moment de la fonte des neiges. Les jeunes ont ensuite une phase erratique. Ils vont voyager pendant 4 ou 5 ans, avant de revenir dans la région qui les a vus naître pour chercher à former leur propre territoire, qui varie entre 300 et 700 km2. Les grands rapaces vivent là où il y a du relief. Ils affectionnent particulièrement les falaises calcaires. La présence d’ongulés sauvages ou domestiques est nécessaire, ainsi que celle de pierriers et de sources de boue ferrugineuse. Ils ont une espérance de vie de 20 à 30 ans.
Pourquoi a-t-il disparu de nos montagnes ?
Le gypaète n’a jamais disparu des Pyrénées. Il a disparu des Alpes au début du 20e siècle. On pense que le dernier individu a été tué dans le Val d’Aoste en 1913. Il y avait plusieurs croyances à son sujet directement liées à son physique. Son œil cerclé de rouge était forcément maléfique et les traces orangées sur son plastron blanc devaient provenir du sang de ses victimes… L’homme l’a ainsi chassé et empoisonné jusqu’à son extinction. A tort bien sûr, car il est strictement charognard et ne peut pas s’en prendre à une proie vivante, contrairement au vautour fauve qui dans seulement 2% des cas peut commencer à consommer un animal moribond.
Comment s’est passée la réintroduction ?
La première réintroduction a eu lieu en 1970. Des gypaètes ont été capturés en Afghanistan et mis dans des volières d’acclimatation en Haute-Savoie. Mais le projet n’aboutira pas à cause d’une trop grande méconnaissance de l’animal. En 1978, changement de méthode, au lieu de capturer des animaux, il est décidé de les élever en captivité. Et la reproduction en zoo fonctionne. Un réseau d’élevage se met en place. En 1986, le premier lâché a lieu en Autriche et l’année suivante le second est réalisé en France, en Haute-Savoie. Depuis, d’autres sites de réintroduction ont été choisi afin de recoloniser tout l’arc alpin. Aujourd’hui, les lâchés continuent, récemment ils se sont déroulés dans les Préalpes et dans le Massif Central.
Quel avenir pour le gypaète ?
On dénombre aujourd’hui 49 couples dans l’arc alpin. Plus spécifiquement 15 dans les Alpes françaises. Il y a également 40 couples dans les Pyrénées et seulement 2 couples en Corse. Le seul centre d’élevage pour les gypaètes en France est situé en Haute-Savoie depuis 1984. Des poussins continuent d’y voir le jour, certains vont partir en Andalousie prochainement. La réintroduction continue. Les effectifs alpins sont encore trop faibles. Nous voulons augmenter la diversité génétique des oiseaux et créer un réel corridor à l’échelle européenne pour faciliter les échanges entre les populations de gypaète.
Quels sont les risques qui pèsent sur le rapace ?
Nous travaillons en collaboration avec les domaines skiables et les compagnies qui installent le réseau électrique pour équiper les câbles de repères visibles par les gypaètes et ainsi éviter les collisions mortelles qui représentent 7 des 12 cas de mortalités enregistrés depuis la réintroduction. Nous luttons aussi contre l’empoisonnement et les intoxications au plomb. Nous essayons de tester avec des chasseurs l’efficacité de balles sans plomb.
Pourquoi est-il important de sauver le gypaète ?
Il est primordial d’assurer un meilleur avenir aux gypaètes car les bénéfices nous concernerons aussi. D’abord parce que la faune sauvage est devenu un réel atout touristique, mais aussi car les risques qui pèsent sur le gypaète comme l’intoxication au plomb nous touchent également. Tout le monde peut participer à son niveau, en contribuant au suivi de l’espèce par exemple. Il existe un réseau international de suivi et un petit formulaire en ligne permet à n’importe qui de noter ses observations sur le gypaète.
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